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dois point redouter ſa colere. Quoy Cleandre, prit la Princeſſe, ſi je sçavois voſtre paſſion, vous ſeriez bien mal avec elle ! & ne pourriez-vous pas me la dire ſans quelle le sçeuſt ? Non Madame, répondit-il ; & je ne vous aurois pas pluſtost advoüé ce que vous voulez sçavoir, que la Perſonne que j’aime sçauroit mon crime, par la confuſion qu’elle verroit dans mes yeux, & qu’elle m’en puniroit cruellement. Attendons donc, luy dit-elle en riant, que vous ayez querelle enſemble : & que vous ne ſoyez plus dans la crainte de l’irriter. C’eſtoit de cette ſorte que la Princeſſe ſans y penſer, donnoit lieu à Cleandre de luy découvrir ſa paſſion s’il en euſt eu la hardieſſe :

cependant il penſa eſtre diſgracié de Creſus, par une raiſon aſſez eſtrange. Je vous ay deſja dit, ce me ſemble, que Solon avoit eſté bien reçeu de ce Prince à ſon arrivée à Sardis : mais comme c’eſt la couſtume des magnifiques, d’aimer que l’on loue leur magnificence : Creſus ayant fait monſtrer tous ſes Threſors à Solon, & luy ayant fait voir toutes ces prodigieuſes richeſſes dont ſon Palais eſt remply ; il luy demanda s’il avoit veu quelqu’un plus heureux que luy pendant ſes voyages ? Et comme ce Grand homme ne fait pas conſister la felicité en de pareilles choſes, il parla admirablement en Sage, mais il ne parla pas en bon Courtiſan, ny en flateur. Au contraire, il luy dit qu’il en avoit connu pluſieurs, & entre les autres, il luy nomma Tellus, qui eſtoit mort pour ſa Patrie, & en gagnant une Bataille : diſant enfin, Que nul n’eſtoit heureux avant ſa mort. Creſus sçeut meſme que Solon avoit dit, qu’il preferoit la vertu de Cleandre, avec qui il fit amitié, à toutes les richeſſes du Roy de Lydie : & que ce Prince poſſedoit en luy un Threſor caché, qu’il ne connoiſſoit