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n’avoit eſté ſi remply de perſonnes illuſtres qu’il l’eſtoit alors : puis qu’en ce meſme temps, tout ce qu’il y avoit d’hommes excellents pour les Arts en toute la Grece venoient ſouvent en Lydie, ou y envoyoient de leurs ouvrages : de ſorte que quoy que l’on y viſt, & quoy que l’on y entendiſt, il y avoit touſjours dequoy aprendre, & dequoy ſe divertir. Mais bien que cette Cour fuſt la plus belle choſe du monde, Cleandre y eſtoit pourtant le plus malheureux Amant de toute la Terre : parce qu’encore qu’il fuſt adore de toute la Cour, comme la Princeſſe Palmis ne sçavoit point qu’il l’aimoit, & qu’il n’oſoit meſme le luy dire ; il vivoit avec un chagrin extréme ; & durant que le Prince Atys, Antaleon, Mexaris, Abradate, Adraſte, Arteſilas, & tous les autres de meſme vollée ſe divertiſſoient, Cleandre ſeul ſoûpiroit en ſecret : ne pouvant touteſfois s’empeſcher de faire voir quelques marques de melancolie dans ſes yeux. Le Prince Myrſile à cauſe du ſeul deffaut qu’il a, eſtoit auſſi touſjours aſſez reſveur, & meſme aſſez ſolitaire : cependant la converſation eſtoit fort agreable chez la Princeſſe : qui ſans ſoupçonner rien de la paſſion que Cleandre avoit pour elle, avoit ſeulement une forte curioſité de pouvoir aprendre de qui il eſtoit amoureux. Mais une curioſité ſi extraordinaire (à ce que j’ay sçeu par ma Parente qui me l’a dit depuis) que ſans en pouvoir dire la raiſon, elle ne craignoit gueres moins en effet de sçavoir qui aimoit Cleandre, qu’elle le ſouhaitoit en aparence. Car cette fille m’a dit, que luy parlant un jour de cette pretenduë paſſion, & luy donnant commiſſion de s’en informer ; elle s’eſtoit miſe à vouloir deviner qui pouvoit en eſtre la cauſe : &