Nom de celle que vous aimez, luy dis-je, il me ſemble que vous ne hazardez rien : le hazarderois tout, repliqua-t’il, car de la façon dont j’adore cette admirable perſonne, je n’aurois pas pluſtost advoüé au Prince que j’aime, que la confuſion que j’en aurois, luy découvriroit mon ſecret : & luy feroit voir malgré moy l’Image de l’adorable Palmis dans le fonds de mon cœur où je la cache. Ce n’eſt pas que je ne sçache bien à mon grand regret, qu’il y a ſi peu d’apparence à la choſe, qu’elle n’eſt peut-eſtre pas ſi aiſée à ſoupçonner que je me l’imagine : Mais puis que ce Prince sçait par ſa propre experience, que l’on peut aimer une perſonne beaucoup au deſſous de ſoy : il pourroit auſſi aiſément croire, que l’on en peut aimer une beaucoup au deſſus. Et puis, ne s’offenceroit-il pas que je luy fiſſe un ſecret de la cauſe de mon amour, luy qui me découvre ſi confidemment la ſienne ; En un mot, parce que je sçay la choſe, il me ſemble qu’il la ſcauroit : & cette confidence que je ne ferois qu’a demy, me ſemble trop dangereuſe. Je luy en ferois donc une fauſſe, luy dis-je encore, & je luy nommerois quelque autre perſonne de la Cour : mais Soſicle, me répondit-il, le moyen que le Prince croye que je ſuis amoureux de cette Perſonne, s’il voit que je ne luy parle pas ſouvent ? Et ſi je luy parle ſouvent, le moyen que la Princeſſe ne s’imagine pas que je l’aime ?
Enfin apres avoir bien raiſonné ſur cette bizarre avanture, nous nous ſeparasmes ſans rien reſoudre : & le lendemain au matin, Cleandre ſe trouva auſſi embarraſſé à répondre au Prince, que s’il n’euſt point eu de temps à s’y preparer. De ſorte qu’Atys ne pouvant penetrer dans le fonds du cœur de Cleandre, eut l’eſprit un peu irrité,