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en repos. Cleandre ſe trouva alors eſtrangement embarraſſé ; & s’il ne fuſt arrivé du monde qui rompit cette faſcheuse converſation ; je ne sçay comment il euſt pu répondre à un diſcours ſi prenant, ſans donner beaucoup de marques de l’agitation de ſon ame au Prince de Lydie. Mais Arteſilas luy eſtant venu faire une viſite, Cleandre eut le temps de ſonger avec un peu plus de loiſir, aux choſes qu’il avoit à dire, puis que de tout ce jour là Atys ne pût avoir la liberté de renouer cette converſation. De ſorte que Cleandre me cherchant, & me menant promener dans les jardins du Palais, il me raconta ce qui luy eſtoit arrivé : mais avec des termes ſi expreſſifs, pour me dépeindre l’inquietude où il avoit eſté, pendant le diſcours du Prince de Lydie, que j’en avois moy meſme l’ame à la gehenne. Car imaginez-vous bien, me diſoit-il, la bizarrerie de cette avanture, qui fait que j’aime paſſionnément une perſonne à qui je n’en oſe donner aucune marque, & qui fait en ſuite que l’on mordonne de donner cent mille preuves d’affection à une autre que je n’aimeray jamais. Et ce qui eſt le plus eſtrange, c’eſt que l’on veut que j’en uſe ainſi, principalement afin que la Perſonne que j’adore croye que je ſuis amoureux d’une Fille que je n’aime point, que je ne ſcaurois aimer ; & que meſme on ne voudroit pas que j’aimaſſe. Ha Fortune, s’écrioit-il, c’eſt bien aſſez que j’aye le malheur d’aimer une Princeſſe à qui je n’oſerois le dire ; ſans que j’aille encore moy meſme luy perſuader que je ſuis amoureux d’une autre. Mais puis que vous ne luy oſeriez dire voſtre paſſion, repris-je, & que ſelon les apparences vous ne la luy direz jamais, je ne trouve pas qu’il vous doive beaucoup importer