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Lettres qui leur apartenoient : & firent tant de railleries d’Artelinde, que Cleonice en fut pleinement vangée.

Elle en tira meſme un autre bien, qui fut que l’on ne parla non plus apres cela de la paſſion que Ligdamis avoit pour elle, que s’il ne l’euſt point aimée : ſi bien qu’ils jouïrent tous deux durant quelques jours, de toutes les douceurs qu’une amour innocente peut donner. Cleonice donnoit pourtant quelques fâcheuſes heures à Ligdamis : parce qu’elle ne pouvoit encore croire que l’amour puſt eſtre durable. Ainſi quand elle luy avoit accordé qu’elle ne doutoit point que ſon affection ne fuſt tres grande : elle luy diſoit en ſuite, qu’elle craignoit qu’elle ne la fuſt pas long temps : de ſorte que l’on peut dire qu’elle ſe faiſoit elle meſme des ſujets d’inquietude, dans le temps où la Fortune ne luy en donnoit point. Elle empeſcha meſme diverſes fois Ligdamis, de taſcher de faire perſuader à ſon Pere, de changer le deſſein qu’il avoit de le marier : & de luy permettre de faire ce qu’il pourroit pour obtenir Cleonice de Stenobée : diſant touſjours qu’il ne faloit point precipiter les choſes, que peut-eſtre ne l’aimeroit-il pas touſjours ; & qu’enfin elle vouloit une plus longue eſpreuve de ſa paſſion. Si bien qu’encore que Ligdamis ne demeuraſt pas d’accord que cette eſpreuve fuſt neceſſaire, touteſfois il avoit un ſi grand reſpect pour elle, qu’il n’oſoit la preſſer de la choſe du monde qu’il ſouhaitoit le plus ; & d’autant moins qu’en ce temps là il n’avoit aucune des inquietudes de l’amour, que la ſeule impatience. Car encore qu’Hermodore fuſt touſjours amoureux de Cleonice, que Phocylide le paruſt auſſi eſtre aſſez ſouvent ; & que beaucoup d’autres la trouvant digne de leur choix, ſongeassent à l’eſpouser