Je vy meſme qu’en liſant la fin de cette lettre, où Ligdamis diſoit qu’il s’eſtimeroit heureux de n’eſtre ny haï, ny oublié, elle ſoûrit à demy : en fui te dequoy me la rendant, & n’oſant preſques me regarder ; vous donnez ſi bon ordre, me dit elle, que ce dernier malheur n’arrive à Ligdamis, qu’il a grand tort de le craindre : mais cruelle Perſonne (adjouſta t’elle en prenant un viſage plus ſerieux) quel plaiſir prenez vous à me tourmenter ? le sçay bien que Ligdamis eſt voſtre parent, & qu’ainſi j’aurois tort de vouloir qu’il ne vous donnaſt point de ſes nouvelles : mais pourquoy faut-il que je ſois le ſujet de ſes Lettres & des voſtres ? Pour moy, luy dis-je, comme je n’ay jamais fait que reſpondre à Ligdamis, c’eſt luy que vous devez accuſer de ce que nous parlons de vous : car en mon particulier, je ne penſe pas que la civilité me permiſt lors qu’il me parle de Cleonice, de luy aller parler d’Artelinde ou de quel que autre : & de reſpondre à les Lettres, ſans reſpondre à ce qu’il m’y dit. Mais que luy reſpondrez vous ? répliqua t’elle ; je reſpondray ce qu’il vous plaira à celle-ci, luy dis-je, car je ne dois eſcrire que demain. Du moins, me dit elle, ne luy mandez pas que j’ay veu ſa Lettre : je ne vous de mande pas, luy repliquay-je, ce que je dois n’eſcrire point : mais ce que je dois eſcrire. Vous ne le feriez pas quand je vous le dirois, reſpondit : elle ; Cependant ſi vous me vouliez obliger, vous luy perſuaderiez fortement de ſe deffaire d’une paſſion qui ne luy donnera que de la peine.
Voila. Donc, Madame, quels eſtoient les ſentimens de Cleonice, pendant l’exil de Ligdamis, qui ne man qua pas de revenir à Epheſe, dés que le temps de ſon banniſſement fut expiré, ſans en demander une nouvelle permiſſion