Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/522

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien faſchée qu’il fuſt amoureux d’une autre, adjouſtay-je, je l’advoüe encore, repliqua t’elle en baiſſant les yeux, quoy que ce ne fuſt que pour ſon intereſt, & que ce ne fuſt pas par jalouſie. Que vous aimeriez mieux qu’il euſt touſjours de l’amour pour vous que de la haine, luy dis-je ; Ha, Iſmenie, interrompit— elle, vous me demandez là des choſes ſi eſtranges, que je n’y sçaurois reſpondre : je penſe pourtant, adjouſta t’elle, que je ſerois eſgalement faſchée, de l’amour & de la haine de Ligdamis. Je ne le penſe pas, luy dis-je, mais puis que vous ne voulez pas vous expliquer plus nettement, je ne vous demanderay plus rien : & je ſouhaiteray ſeule ment pour me vanger de vous, que Ligdamis vous oublie ; qu’à ſon retour il devienne amoureux d’une autre ; & que vous ne le puiſſiez oublier. Vous eſtes bien vindicative, me dit elle, mais ce qui me conſole eſt que je sçay bien que tout ce que vous dites ne sçauroit arriver : car ſi Ligdamis m’oublie, je l’oublieray de telle ſorte moy meſme, qu’il ne m’inquietera point du tout. Vous luy avez donc fait un commandement, luy dis je, où vous ne voulez pas qu’il obeïſſe ; puiſque s’il vous obeït, vous le punirez.

Cleonice voulut apres cela me dire qu’elle ne luy avoit or donné que de chaſſer l’amour de ſon cœur, mais je ne la voulus pas plus entendre : & je la quittay ſans luy vouloir plus reſpondre : me ſemblant qu’à travers tout ce qu’elle m’avoit dit, l’amitié qu’elle avoit pour Ligdamis, eſtoit devenuë un peu plus tendre, depuis qu’il eſtoit party. Et en effet je voyois clairement, qu’elle apprehendoit qu’il ne l’oubliaſt : je n’oſois pourtant luy dire que j’avois quelques fois de ſes Lettres : mais un jour que j’eſtois auprés d’elle, l’