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aurez pu chaſſer. Sans mentir Cleonice, interrompis-je en riant, vous eſtes admirable, de vouloir faire paſſer pour une grande faveur, que vous endurerez ce que vous ne sçauriez empeſcher. Et depuis quand veut-on obliger les gens aux choſes impoſſibles ? Quand vous m’auriez perſuadé que j’aurois tort, repliqua t’elle, je ne m’en repentirois pas : & vous ne m’en devriez pas blaſmer, par la meſme raiſon que vous venez de dire : eſtant certain que s’il eſt impoſſible à Ligdamis de ne m’aimer plus, il ne me l’eſt pas moins de pouvoir me reſoudre à ſouffrir qu’il me donne des marques d’amour. C’eſt pourquoy je vous conjure, luy dit elle, que ſans vous arreſter à ce que dit Iſmenie, vous eſſayez deux choſes : l’une l’abſence, & l’autre l’ambition. Vous sçavez, luy dit elle encore, que Cleandre vous aime cherement : allez donc ſix mois à la Cour, & taſchez de chaſſer une paſſion par une autre : Mais de grace ne me reſistez plus, ſi vous ne voulez que je vous haïſſe. Je sçay bien Madame, repliqua t’il, que quand je vous obeïray, cela ſera inutile, puis qu’en quelque lieu que je ſois, vous ſerez toûjours preſente à mon eſprit, & qu’enfin je ſuis incapable de toute autre ambition, que de celle d’eſtre aimé de vous. Apres cela Cleonice parla ſi fortement à Ligdamis, que je connus en effet qu’elle vouloit eſtre obeïe : de ſorte que prenant la parole, je luy conſeillay de la contenter. Car, luy dis-je, ſi l’abſence vous guerit, vous aurez lieu de vous eſtimer heureux : & ſi elle ne vous guerit pas, vous aurez rendu à Cleonice la plus grande marque d’amour & d’obeïſſance, que vous luy puiſſiez jamais rendre. Du moins, luy dit il, Madame, promettez moy donc que ſi je vous obeïs,