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Ligdamis la vit durant les huit jours qu’elle luy avoit accordez : mais quelque violence qu’il ſe vouluſt faire, il luy eſtoit impoſſible de ne donner pas quelques marques de ſa paſſion, ou par ſes regards, ou par ſes ſoûpirs, ou par ſes reſveries, ou meſme par quelques paroles qui luy eſchapoient ſans deſſein. De plus, comme Cleonice avoit alors l’eſprit diſposé à expliquer toutes ſes actions de cette ſorte, elle ſongeoit à eſviter la rencontre de ſes yeux ; elle rougiſſoit dés qu’elle le voyoit aprocher d’elle ; elle aportoit ſoin à ne ſe trouver pas aſſise aupres de luy ; elle ne luy adreſſoit jamais la parole ; & ils vivoient enfin tous deux en une contrainte ſi grande, que je ne pouvois aſſez m’eſtonner de voir le changement qui eſtoit arrivé en ces deux perſonnes. Quand je demandois à Cleonice, pourquoy elle ne vouloit pas agir, comme ſi elle n’euſt point sçeu la paſſion de Ligdamis ? elle me diſoit qu’il luy eſtoit impoſſible : & qu’il faloit abſolument qu’il s’en allaſt. Car, me diſoit elle, le dernier jour qu’il la devoit voir, s’il ne s’en va pas, & qu’il s’obſtine à m’aimer comme il fait, je le haïray infailliblement : Mais s’il vous obeït, luy dis-je, & que l’abſence ne le gueriſſe point, que voudrez vous qu’il y face ? & trouverez vous fort juſte, qu’il ſoit eternellement banny de ſon Pais, ſeulement parce qu’il vous aime un peu trop ? Si Ligdamis, adjouſtay-je, eſtoit un homme que vous n’eſtimassiez point ; & que bien loin de l’eſtimer & de l’aimer comme vous faites, vous euſſiez une averſion eſtrange pour ſa perſonne ; & qu’en effet il la meritaſt ; que pourriez vous faire davantage ? je ferois beaucoup moins, me dit-elle le n’en comprends pourtant pas la raiſon : luy repliquay-je : touteſfois je ne laiſſe