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bonté que j’ay pour vous : & n’allez pas vous flatter juſques au point que de croire que peut eſtre je ne ſuis pas auſſi irritée que je vous l’ay paru. Je me ſuis reſoluë à faire ce que je fais aujourd’huy, parce que j’ay creu que noſtre amitié paſſée m’obligeoit à taſcher de vous ſecourir ſi je le pouvois : & à eſſayer de faire un dernier effort, pour remettre la raiſon dans voſtre ame. Par quelque motif que vous ſouffriez que j’aye l’honneur de vous revoir, reſpondit-il, je vous en ſuis touſjours tres obligé : & plus obligé que de toutes les bontez que vous avez eues pour moy, tant que noſtre amitié a duré : eſtant certain que je n’ay jamais ſouhaité d’avoir cét honneur avec une paſſion ſi aredente, que depuis que je nie ſuis privé de voſtre veuë. Je ſuis pourtant la meſme que j’eſtois, reprit froidement Cleonice ; il eſt vray, Madame, repliqua-t’il : mais je ne ſuis plus le meſme que j’ay eſté. J’en ſuis bien fâchée, interrompit-elle, & il eſt peu de choies que je ne fiſſe, pour retrouver en vous cét Amy agreable & fidele, qui ſans avoir toute la ſeverité de l’extréme ſagesse, en avoit pourtant toute la ſolidité. Cet Amy, dis-je, qui voyoit ſi clairement les choſes comme elles devoient eſtre ; & de qui la converſation & l’amitié faiſoient toute la douceur de ma vie. Mais, Ligdamis, adjouſta t’elle, eſt il bien vray auſſi, que vous ne ſoyez plus celuy dont je parle ; & que vous me veuilliez forcer à vous haïr, ou du moins à ne vous voir plus ? Bien loin d’avoir une volonté ſi déraiſonnable, dit-il, ſi j’oſois je vous dirois que je borne tous mes deſirs à vous voir, & à eſtre aimé de vous : ſi vous n’aviez pretendu que ces deux choſes, reprit-elle, vous n’auriez point changé de ſentimens : car enfin on ne peut