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pus rien obtenir de Cleonice, & je m’en retour nay perſuadée qu’il faudroit abſolument que Ligdamis ne la viſt jamais. En r’entrant dans ma Chambre, je trouvay ce malheureux Amant qui m’y attendoit, & qui venoit me demander aſſistance : je luy dis ingenument que Cleonice eſtoit fort irritée : neantmoins je ne voulus pas preciſément luy dire tout ce que j’en croyois, parce que je le vy trop affligé. Mais, luy dis-je, Ligdamis, dequoy vous eſtes vous adviſé d’aller devenir amoureux, & de Cleonice encore ? Et de qui donc, me dit-il bruſquement, l’euſſay-je pû eſtre, puis que j’avois à le devenir, ſi ce n’eſtoit de la perſonne du monde la plus accomplie ? Sçachant ſon humeur, repliquay-je, il me ſemble que vous n’y deviez pas ſonger : ha Iſmenie, me dit-il, que je ſuis devenu sçavant en amour en peu de jours, & que vous y eſtes ignorante ! j’euſſe ſans doute parlé comme vous faites, il y a quelque temps : mais aujourd’huy je connois par mon experience, que l’amour eſt une choſe plus ſorte que la raiſon, & que rien ne le sçauroit vaincre. Ainſi puis que ce n’eſt pas un ſentiment volontaire, il y a beaucoup d’injuſtice à vouloir condamner ceux qui en ſont capables. Vous avez donc fait bien des injuſtices, luy dis-je en riant : je l’advoüe, me repliqua-t’il, mais auſſi en ſuis-je rigoureuſement puny. Cependant il ne laiſſe pas d’eſtre équitable de pleindre du moins les Amants malheureux, lors qu’on ne les veut pas ſoulager autrement : & c’eſt Iſmenie toute la grace que je demande à Cleonice. Elle m’a fait autrefois l’honneur de me dire, que ſi je devenois amoureux, pourveu que ce ne ſuit point d’elle, qu’elle vouloit bien que je luy deſcouvrisse ma foibleſſe,