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Ligdamis, luy dit-elle, de commettre crime ſur crime : contentez vous de perdre mon amitié, & ne me forcez pas à vous haïr. Seroit-il juſte Madame, luy dit-il, de me haïr ſeulement parce que je vous aime trop ? au reſte ne penſez pas que je ne vous aye point reſisté : je vous ay obeï ponctuellement ; j’ay combatu ma paſſion autant que je l’ay pû : apres, voyant que je ne la pouvois vaincre, j’ay voulu du moins la cacher : mais ſentant bien que je ne le pourrois pas, j’ay voulu me bannir moy meſme. Que ne cherchiez vous un pretexte pour le faire, luy dit-elle, ſans m’a prendre voſtre folie ? Quoy Madame, luy dit-il, vous euſſiez voulu m’avoir oſté la liberté & la, raiſon ; avoir mis le trouble en mon ame ; changé toutes mes inclinations, & deſtruit tout le repos de ma vie ; & vous euſſiez voulu, dis-je, ignorer touſjours le mal que vous m’avez cauſé, & me priver meſme de la conſolation d’eſperer que vous me sçaurez quelque gré de l’obeïſſance que je vous rends ! Obeïſſez moy donc, luy dit elle, en ne me voyant jamais. Ligdamis voulut encore luy dire quelque choſe, mais elle ne le voulut pas eſcouter : & voyant qu’il ne pouvoit ſe reſoudre à ſortir de ſa Chambre, elle en ſortit la premiere, & le contraignit d’en ſortir auſſi. Je vous laiſſe à penſer, Madame, quelle douleur fut la ſienne : il eſt vray que celle de Cleonice ne fut guere moindre, bien que ce fuſt par des ſentimens differends : car ſi Ligdamis eſtoit affligé, parce qu’il craignoit de ne pouvoir fléchir Cleonice par ſa perſeverance, Cleonice l’eſtoit, parce qu’elle eſtoit au deſespoir, de croire qu’elle eſtoit obligée de rompre avec Ligdamis, & de ſe priver de l’amitié d’une perſonne qui luy eſtoit ſi chere.