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ou ſeroit il poſſible encore qu’elle ne compriſt pas ce que je luy ay voulu dire ? Cependant il y a grande aparence qu’il faut que la choſe ſoit ainſi : mais, reprenoit il, Cleonice a tant d’eſprit ; & elle m’a tant de fois dit, qu’elle vouloit que je ne la viſſe plus, s’il arrivoit que je devinſſe amoureux d’elle, & que je ne puſſe ny vaincre ny deſguiser ma paſſion ; qu’il n’eſt pas croyable qu’elle en ait perdu la memoire. Elle sçait donc ce que je veux qu’elle sçache : & elle le sçait ſans en avoir de la colere, puis qu’elle m’ordonne de l’aller trouver. Allons y donc : mais allons y avec eſperance. Touteſfois, adjouſtoit il, je penſe qu’il eſt plus raiſonnable de craindre : car enfin le moyen de concevoir, que cette puiſſante adverſion que Cleonice a touſjours euë pour l’amour, ſe ſoit changée en un moment ? Mais puis que je ſuis changé, reprenoit il, pourquoy ne peut elle pas changer auſſi bien que moy ? La raiſon n’eſt pourtant pas eſgale entre nous, adjouſtoit il un moment apres ; & il eſt bien moins eſtrange, que la beauté, l’eſprit, & le merite de Cleonice, m’ayent fait changer de reſolution ; que ſi elle venoit à changer la tendreſſe de ſon amitié, en une affection un peu plus paſſionnée. Apres tout, diſoit-il encore, s’il ne faut qu’ai mer pour eſtre aimé, j’ay tout ce qu’il faut pour l’eſtre de Cleonice : puis qu’il eſt vray que je l’ai me, plus que perſonne n’a jamais aimé. Eſperons donc, eſperons : & allons recevoir noſtre arreſt de grace, de la ſeule perſonne qui nous la peut faire.

Apres cela, Ligdamis s’eſtant fortement déterminé, vint chez Cleonice : qui ne le vit pas pluſtost, qu’elle ſe mit à rire, afin de luy faire voir qu’il ne l’avoit pas trompée, & que ſa fourbe avoit