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elle vouloit qu’il parlaſt de cette ſorte, eſtoit afin que Ligdamis connuſt par là, que ſon Billet n’avoit pas eſté receu comme une choſe eſcrite ſerieusement : tant il eſt vray qu’elle avoit peur que Ligdamis ne la ſoupçonnaſt un moment, de croire qu’il eſtoit amoureux d’elle. La choſe n’alla pourtant pas ainſi, comme je m’en vay vous le dire : Ce jeune eſclave eſtant donc allé chez Ligdamis, il ne le vit pas pluſtost, qu’il creut qu’il luy aportoit ſon arreſt de mort, ſigné de la main de Cleonice : & il ſe preparoit deſja à lire des reproches & des injures, lors que voyant cét eſclave de plus prés, il le vit avec un air enjoüé comme à ſon ordinaire, qui luy faiſoit un Compliment tres civil, & qu’il luy ordonnoit d’aller trouver Cleonice. Ligdamis fort ſurpris de ce qu’il entendoit, demanda à cét eſclave ſi elle avoit leu ſa Lettre ? & il luy reſpondit qu’il croyoit qu’elle l’avoit leuë plus d’une fois : car, luy dit il, elle en a bien eu le loiſir depuis que je l’ay laiſſée ſeule avec Iſmenie : & quand on m’a rapellé, elle la tenoit encore. En ſuite Ligdamis ne manqua pas, feignant de s’informer de la ſanté de ſa Maiſtresse, de luy demander ſi elle eſtoit gaye ou triſte ? ſi bien que l’eſclave reſpondant ſuivant l’intention de Cleonice, Ligdamis demeura ſi ſurpris, qu’il ne pouvoit que penſer. Il dit donc à l’eſclave qu’il viendroit bien toſt nous trouver, mais il ne tint pas ſa parole : eſtant certain qu’il fut plus d’une heure à raiſonner ſur le meſſage qu’il venoit de recevoir, & ſur la joye de Cleonice, auparavant que de pouvoir ſortir de chez luy. Que dois je penſer ? diſoit il ; Cleonice m’a t’elle entendu, ou ne m’entend elle point ? ſeroit il poſſible que l’amour en bleſſant mon cœur euſt touché le ſien ;