t’elle, que je ſerois la plus malheureuſe perſonne de la terre. J’ay pourtant tort, pourſuivit Cleonice, de m’amuſer à vous reſpondre comme je fais : car enfin, Iſmenie, ay-je d’autres yeux que je n’avois lors que Ligdamis devint de mes Amis ? ſuis-je plus charmante ; ay-je plus d’eſprit ; & que m’eſt il arrivé, qui m’ait rendue plus redoutable pour luy : Non non, adjouſta t’elle encore, l’eſprit de Ligdamis eſt libre : & ſi libre que vous voyez bien qu’il a mieux inventé une declaration d’amour, que tous les Amants d’Artelinde n’ont jamais pû faire. Mais d’où vient, luy dis-je, que vous avez rougy en liſant ſon Billet, & que vous aviez ; la voix ſi foible & ſi baſſe, qu’à peine vous entendiez vous vous meſme ? C’eſt, repliqua t’elle, que tout ce qui porte le Caractere de galanterie m’effraye d’abord : mais un moment apres je me ſuis remiſe. Cependant, adjouſta t’elle, vous me faites perdre un temps qui me doit eſtre fort cher : car il me ſemble que je voy Ligdamis qui a un plaiſir extréme, de s’imaginer qu’il m’a pû mettre en colere. Apres cela, ſans vouloir plus m’eſcouter, elle apella une de ſes Femmes : à qui elle ordonna de faire venir ce je une eſclave, qui avoit deſja eſté chez Ligdamis. Quand il fut venu, elle luy commanda d’y retourner ; de luy faire un compliment de ſa part ; & de luy dire qu’elle le prioit de venir à l’heure meſme la trouver. Si par hazard, luy dit elle encore, il te demande avec qui je ſuis, tu luy nommeras Iſmenie : & s’il s’informe auſſi ſi je ſuis gaye ou melancolique, tu luy diras la verité, qui eſt que je ne ſuis. pas triſte. Cleonice avoit toutes ces precautions, parce qu’elle sçavoit bien que Ligdamis eſtoit accouſtumé à demander cent choſes à ce jeune Eſclave qui avoit aſſez d’eſprit : & la raiſon pourquoy
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