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eu & releu, Ligdamis le donna à l’eſclave qui luy avoir aporté celuy de Cleonice : luy ordonnant de le rendre en main propre à ſa Maiſtresse, & de ne le laiſſer voir qu’à elle. En fuite de cela, il demeura dans une inquietude qu’il n’a jamais pu m’exprimer, qu’en me diſant qu’il luy eſtoit impoſſible de me la deſpeindre. Cependant le hazard fit, qu’eſtant arrivé chez Cleonice, un moment apres qu’elle eut envoyé chez Ligdamis, je me trou nay auprés d’elle lors qu’elle receut la reſponce. Dés que l’eſclave qui la luy aporta parut, elle s’avanca vers luy, pour prendre ce que Ligdamis luy eſcrivoit ; & s’en revenant vers moy, apres l’avoir renvoyé ; voyons un peu, me dit elle, s’il eſt vray que j’aye perdu la memoire : & s’il eſt poſſible que j’aye prié Ligdamis de ne me voir plus ſans qu’il m’en ſouvienne. Apres cela elle ſe mit à lire ce Billet tout haut mais dés les premieres lignes je la vy rougir : la voix meſme luy changea : & elle en prononça les dernieres paroles ſi peu diſtinctement, que je ne les entendis pas. De ſorte que prenant ce Billet à mon tour, & le liſant haut auſſi bien que Cleonice ; voſtre curioſité eſt-elle ſatisfaite ? (luy dis-je apres avoir achevé de lire) nullement, repliqua-t’elle, car je ne voy pas encore bien preciſément ſi Ligdamis raille, ou ſi Ligdamis a perdu la raiſon. Je ne comprends que trop preſentement, adjouſta-t’elle, que ce commandement qu’il dit que je luy ay fait, eſt fondé ſur ce qu’il me demanda un jour en voſtre preſence, ce qu’il faudroit qu’il fiſt, s’il devenoit amoureux de moy ? & je m’aperçoy enfin, qu’il me veut faire croire qu’il l’eſt devenu. J’advoüe, luy dis je, que cette declaration d’amour, eſt la plus reſpectueuse qui ſera jamais faite, & la plus particuliere : me preſervent