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y penſer les liens qui l’attachoient à ſon ſervice, qu’il connut bien qu’il ne les pourroit jamais deſnoüer. Je me ſouviens qu’en ce temps là, Artelinde fit pluſieurs choſes qui nous donnerent un ample ſujet de parler contre l’amour : car Madame, un de ſes Amants s’en allant à un voyage, & laiſſant aupres d’elle un frere qu’il avoit pour donner ſes Lettres à Artelinde, & pour prendre ſes reſponces ; elle fit ſon Captif de celuy qui ne penſoit eſtre qu’Agent, & favoriſa meſme bien plus le Confident, que celuy pour qui il agiſſoit. Phocylide de ſon coſté, ne nous donna pas moins de ſujet de converſation, en perſuadant en meſme temps comme il fit à deux ennemies mortelles qu’il les aimoit, faiſant croire à chacune ſeparément, qu’il ſe mocquoit de celle qu’elle haïſſoit. Ces deux nouvelles avantures nous ayant eſté racontées en un meſme jour, Cleonice, Ligdamis, & moy eſtant enſemble ; Cleonice ſe mit ſuivant ſa couſtume à exagerer les bizarres effets de l’amour : Ligdamis apres avoir eſté quelque temps ſans parler, luy dit qu’elle confondoit les choſes : puis qu’il eſtoit vray que ces eſpeces d’extravagances, eſtoient pluſtost cauſées par la folie de ceux qui les faiſoient que par l’amour, qui effectivement n’avoit point de place en leur ame : car enfin, dit-il, Artelinde & Phocylide n’aiment point. S’il n’y avoit pourtant point d’amour au monde, reprit Cleonice, ils ne feroient rien de ce qu’ils font : mais Ligdamis, luy dit-elle en riant, d’où vient que vous voulez oſter à l’amour, toutes les folies d’Artelinde, & toutes celles de Phocylide ? C’eſt, repliqua-t’il froide ment, que j’ay tant d’autres choſes à luy reprocher, que je n’ay pas voulu l’accuſer avec injuſtice.