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puis que mon cœur a pû changer, pourquoy le ſien ne changeroit-il pas ? Eſperons, eſperons, diſoit-il ; puis un inſtant apres abandonnant ſon ame à la crainte, il perdoit l’eſperance, & peu s’en faloit qu’il ne perdiſt la raiſon.

Cependant comme il ne pouvoit faire autre choſe, il fit deſſein de taſcher de deſguiser ſes ſentimens ; ne pouvant ſe reſoudre ny à dire qu’il aimoit, ny à ſe priver de la veuë de Cleonice, ſuivant ce qu’il luy avoit promis. Il la voyoit donc comme à l’ordinaire, mais il la voyoit preſques ſans plaiſir, par la contrainte où il vivoit : il vouloir la regarder ſans attachement comme il faiſoit autreſfois, mais il luy eſtoit impoſſible : & il ſentoit ſi bien que malgré luy, ſes yeux trahiſſoient le ſecret de ſon cœur, qu’il en avoit un ſensible deſpit. Il euſt pourtant bien voulu qu’elle euſt deviné ce qu’il avoit dans l’ame : de ſorte qu’il en vint aux ter mes, qu’il cachoit avec beaucoup de ſoin ce qu’il mouroit d’envie qu’elle sçeuſt, & ce qu’il n’oſoit pourtant luy dire. Comme Cleonice ne ſoupçonnoit rien de la verité, elle ne prenoit pas garde au commencement au changement qui eſtoit arrivé en Ligdamis : neantmoins il devint ſi inquiet & ſi reſveur, qu’à la fin elle s’en aperçeut, & luy demanda ce qu’il avoit, avec une ingenuité qui luy fit bien connoiſtre, qu’elle ne sçavoit pas quelle en eſtoit la cauſe. De ſorte que n’ayant pas la hardieſſe de luy dire une verité ſi ſurprenante pour elle, il luy reſpondit que ſa reſverie eſtoit cauſée par une legere indiſposition ; & par une de ces melancolies ſans ſujet, qui viennent de temperament : ſi bien que Cleonice le croyant, fit ce qu’elle pût pour le divertir : & par cent ſoins obligeans qu’elle eut de luy, elle ſerra ſi eſtoitement ſans