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tant dit de choſes contre l’amour ; apres avoir lié amitié avec elle, parce que j’eſtois ennemy de cette paſſion, de luy aller dire que je l’aime ? ha, non non, je ne le sçaurois faire : mais, reprenoit-il, pourray-je bien m’en empeſcher ; & ſera-t’il bien poſſible que je puiſſe vivre avec tant d’inquietude ſans m’en pleindre ? Cependant Cleonice m’a engagé, ſi j’avois le malheur de devenir amoureux d’elle, de taſcher de vaincre ma paſſion ; ſi je ne le pouvois, d’eſſayer du moins de la cacher ; & ſi je ne le pouvois encore, de ceſſer de la voir en me banniſſant moy meſme de chez elle, j’ay deſja eſprouvé, adjouſtoit-il, que cette premiere choſe m’eſt impoſſible : & il s’en faut peu, que je ne ſente deſja que je ne pourray pas la ſeconde. Que je ſuis malheureux, pourſuivoit Ligdamis ; car enfin tous les autres Amants quand ils commencent d’aimer, peuvent raiſonnablement eſperer que leurs pleintes ſeront eſcoutées : on ne leur deffend de parler de leur paſſion que lors qu’ils en parlent ; de ſorte que quand ils n’auroient dit qu’une ſeule parole, ils ſont touſjours aſſeurez que l’on sçait leur amour. Mais mon deſtin eſt bien plus bizarre, car on m’a deffendu de parler d’amour, devant que je fuſſe amoureux. Les autres, dis-je, en deſcouvrant leur affection, ne ſont du moins pas en hazard de rien perdre ; & ils peuvent avoir autant de droit d’eſperer, que de craindre. Mais pour moy, je ſuis preſques aſſuré qu’en deſcouvrant la mienne, Cleonice m’oſtera ſon amitié. Auſſi bien, diſoit-il un moment apres, ne sçaurois je plus me contenter de cette ſorte d’affection : mais, reprenoit-il encore, je ne ſuis pas en pouvoir de luy en donner une autre : Ligdamis n’eſt pas pour Cleonice, ce que Cleonice eſt pour Ligdamis : touteſfois