Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/479

Cette page n’a pas encore été corrigée

en meilleur eſtat qu’elle n’avoit jamais eſté ; ſa ſanté n’eſtoit point mauvaiſe ; il ne pouvoit pas eſtre mieux avec Cleonice qu’il y eſtoit ; & il ne luy manquoit rien pour eſtre heureux, que de ſe le croire comme il faiſoit quelque temps auparavant. Sa raiſon luy diſoit encore quelques fois qu’il l’eſtoit, mais il ne ſe le trouvoit pourtant plus, ſans pouvoir dire ce qui l’en empeſchoit. Quand il ne voyoit point Cleonice, il ne pouvoit durée ; quand il la voyoit il n’eſtoit pas encore tout à fait content ; il la regardoit davantage, & luy parloit moins ; & il devint enfin ſi inquiet, qu’il commença de ſoupçonner que ſes ſentimens eſtoient changez, & qu’il eſtoit amoureux. La premiere penſée qu’il en eut, excita un ſi grand trouble en ſon ame, qu’il fut quelque temps ſans pouvoir raiſonner ſur ce qu’il ſentoit : mais à la fin examinant ſon cœur, & comparant l’eſtat où il le trouvoit, à celuy où il eſtoit autrefois, il s’aperçeut qu’il n’en eſtoit plus le maiſtre, & que l’Amour en eſtoit vainqueur. Pour le mieux connoiſtre encore, il ſe demandoit à luy meſme ce qu’il vouloit ; & ce qu’il ſouhaitoit ? du coſté de la Fortune, diſoit-il, je ſuis ſatisfait, parce que mon ambition eſt reglée : de celuy de Cleonice, j’ay ſujet de l’eſtre : mais il n’avoit pas pluſtost dit cela, qu’il ſentoit qu’il ne l’eſtoit pas : & par je ne sçay quels deſirs inquiets, qui n’avoient pourtant point d’objet déterminé, il ſentoit un trouble ſi grand en ſon cœur, qu’il ne pouvoit plus douter qu’il n’aimaſt, & qu’il n’aimaſt avec que violence. Il ſe ſouvint alors, qu’il y avoit plus de quinze jours qu’il n’avoit pu parler à propos contre l’amour : & que toutes les fois qu’il l’avoit voulu faire, il avoit ſenty quelque legere repugnance qu’il n’avoit pas accouſtumé d’avoir.