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comme je viens de le dire. Ha Iſmenie, s’écria Cleonice, vous me faites la plus grande frayeur du monde, de parler comme vous faites ! car ſi vous me perſuadez, vous me ferez haïr Ligdamis. Vous ſeriez bien injuſte, interrompit-il, ce n’eſt pas qu’aſſurément Iſmenie n’ait raiſon en une choſe, quoy qu’elle ait tort en tout le reſte : eſtant certain que je croy avec elle, qu’une violente amitié a bien autant de chaleur, qu’une mediocre amour. Mais Madame, il y a meſme différence entre ces deux choſes ; qu’entre la chaleur du Soleil, & celle du feu. Car enfin, le premier eſchauffe ſans bruſler : & l’autre bruſle infailliblement, pour peu que l’on en ſoit touché. Et c’eſt ce qui fait que l’on ne peut avoir d’amour ſans douleur & ſans inquietude : & qu’au contraire, on peut avoir une violente amitié, ſans peine & ſans impatience. Ce que vous dites, luy repliqua Cleonice, me r’aſſure un peu, contre l’opinion d’Iſmenie : Vous en direz ce qu’il vous plaira (luy dis-je pour la faire diſputer) mais apres tout, vous ne me ferez point croire, qu’une petite eſtincelle ſoit plus in commode, que tous les rayons du Soleil, à la ſaison qu’il jaunit les bleds, & qu’il grille toutes les herbes. Pour moy, me dit Cleonice en riant, vous me ferez à la fin ſoupçonner que vous avez quelque eſpece d’affection incommode, à qui vous ne donnez pas le nom qui luy convient : & vous me perſuaderez, luy dis-je, que vous n’avez que de l’eſtime pour Ligdamis, & point du tout d’amitié. J’aimerois encore mieux qu’il crûſt ce que vous dites, adjouſta-t’elle, que s’il pouvoit penſer que l’en euſſe une pour luy qui peuſt devenir amour. Je n’auray jamais aſſez bonne opinion de moy, reprit-il, ny aſſez mauvaiſe de