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dont je m’imagine cette paſſion, il me ſemble qu’elle doit ſurprendre l’eſprit tout d’un coup, & non pas venir peu à peu comme l’amitié. Au contraire, luy dis je, je trouve bien moins eſtrange, que l’on vienne à aimer une perſonne, en la connoiſſant plus parfaitement ; que devoir des gens qui aiment avec excés, dés le premier inſtant qu’ils voyent, ce qu’ils doivent aimer. S’il eſt vray, interrompit Ligdamis, que l’amour ſoit un effet d’une puiſſante ſimpathie, pluſtost que d’une connoiſſance parfaite : il eſt certain qu’il y a moins de ſujet de s’eſtonner, de voir que l’on ai me dés le premier inſtant, ce que l’on eſt forcé d’aimer malgré ſoy ; que de remarquer qu’il y ait des gens qui n’aiment que long-temps apres avoir veû les perſonnes pour qui ils ont cette inclination ſecrette : quoy que j’aye oüy dire que cela eſt arrivé quelqueſfois. Du moins, adjouſta Cleonice, ſuis je perſuadée, que l’on ne paſſe pas de l’amitié à l’amour : & qu’il ſeroit plus aiſé d’aimer une perſonne pour qui l’on n’auroit que de l’indifference, qu’une pour qui on auroit une amitié fort tendre. Pour moy, luy dis-je, il ne me ſemble pas que vous ayez raiſon : car enfin, quoy que vous m’en puiſſiez dire, c’eſt eſtre dans une diſposition plus grande à avoir de l’amour, lors que l’on eſtime ; que l’on aime ; que l’on cherche ; & que l’on ſe plaiſt en la converſation d’une perſonne, que lors qu’on ne la connoiſt point ; ou qu’en la connoiſſant, on n’a que des ſentimens fort indifferents pour elle. Ainſi je penſe ne me tromper pas, en diſant qu’entre une violente amitié, & une amour mediocre, il y auroit bien autant de chaleur dans le cœur de ceux qui n’auroient que de l’amitié, que dans celuy de ceux qui auroient de l’amour,