Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/473

Cette page n’a pas encore été corrigée

vec beaucoup de douceur & de confiance, ſans que les artifices d’Artelinde ny de Phocylide puſſent les troubler. Il eſt vray que ces deux perſonnes ne s’attachoient pas abſolument à leur nuire ; parce que elles avoient tant d’occupations differentes, qu’il n’eſtoit pas poſſible qu’elles puſſent donner tout leur temps à une meſme choſe. Pour Hermodore, comme il n’aimoit que Cleonice, il ne faiſoit rien que l’obſerver ; mais quoy que les fréquentes viſites de Ligdamis luy donnaſſent de faſcheuses heures, il cachoit ſa douleur autant qu’il pouvoit. Car comme Cleonice luy avoit deffendu de luy donner nulle marque d’amour, il n’oſoit pas en donner de jalouſie, & ſouffroit ſes maux en ſecret. Pour nous, on peut dire que nous menions une vie fort douce : Cleonice ne ſentoit preſques plus les chagrins que l’humeur de Stenobée luy donnoit, dés qu’elle les avoit dits à Ligdamis ; qui de ſon coſté ſentoit diminuer tous ſes deſplaisirs, & redoubler toutes ſes joyes, par la part que Cleonice y prenoit : & pour moy, celle que j’avois en l’eſtime de ces deux Perſonnes, faiſoit que je me trouvois fort heureuſe. J’eſtois celle qui leur aprenois les nouvelles de la Ville, & principalement celles d’Artelinde : Il me ſouvient meſme, qu’un jour ayant sçeu qu’un de ſes Amants eſtant allé à un voyage, & ayant laiſſé un Frere qu’il avoit aupres d’elle pour eſtre ſon Agent, il en eſtoit devenu amoureux : & qu’elle n’avoit pas laiſſé de ſouffrir qu’il l’entretinſt de ſon amour. Je leur racontay toute cette Hiſtoire, qui avoit cent circonſtances eſtranges. Pus apres en avoir bien parlé ; pour moy, dit Cleonice, je ne comprens pas trop bien, comment on peut devenir amoureux d’une perſonne, apres qu’il y a ſi longtemps qu’on la voit ſans l’aimer : car enfin, de la maniere