remarquée dans ſon eſprit, ne pouvoit penſer à autre choſe : & lors qu’il fut retourné chez luy, il ne luy fut pas poſſible de pouvoir ſouffrir la converſation de qui que ce fuſt. Il s’eſtonna toutefois de ſe ſentir ſi inquiet : & il ſe fâcha contre luy meſme, de n’eſtre pas maiſtre de ſon eſprit : luy ſemblant que l’amitié toute ſeule, ne devoit point eſtre capable de donner de ſi fâcheuſes heures : & croyant en effet qu’il n’avoit point d’amour pour Cleonice, il ne pouvoit aſſez s’eſtonner, de ſentir que la veuë de cette Lettre qu’elle avoit cachée, luy euſt cauſé une ſi ſensible douleur. Neantmoins, diſoit-il, puiſque l’amitié peut eſtre tendre, elle peut eſtre inquiete ; on peut craindre de perdre une Amie, auſſi bien qu’une Maiſtresse ; & je ne ſuis pas raiſonnable, de m’eſtonner d’avoir de l’inquietude de ce que je ne puis sçavoir d’où peut venir que Cleonice m’a traitté aujourd’huy d’une maniere ſi eſtrange Trouvant donc qu’il avoit raiſon d’eſtre en peine, il attendit le lendemain avec beaucoup d’impatience, afin de taſcher de s’eſclaircir de ſes doutes : il ne put toutefois pas le faire ſi toſt : parce qu’encore qu’il allaſt de fort bonne heure chez Cleonice, il trouva qu’elle eſtoit deſja ſortie. Mais, Madame, ce qui avoit cauſé ſa diligence, eſtoit qu’elle s’eſtoit mis dans la fantaiſie de faire dire a Artelinde, tout ce qui s’eſtoit paſſé entre Ligdamis & elle, afin de le pouvoir mieux convaincre d’eſtre amoureux. Ce n’eſt pas qu’elle ne crûſt abſolument qu’il l’eſtoit : car outre ſa lettre, elle ſcavoit encore que le Pere de Ligdamis eſtoit reſolu de ne ſouffrir jamais que ſon Fils ſe mariaſt, ſi ce n’eſtoit à une perſonne qu’il luy avoit propoſé vingt fois pour eſtre ſa Femme : de ſorte qu’elle expliquoit tout ce qu’Artelinde luy avoit dit, de la façon
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