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Mais il eſtoit bien embarraſſé, de sçavoir que Ligdamis n’eſtoit jamais fort inquiet ny fort empreſſé ; qu’il ne faiſoit point un ſecret des Lettres de Cleonice ; & qu’au contraire, comme elles eſtoient admirablement belles, il prenoit plaiſir à les monſtrer : & qu’enfin il ne paroiſſoit amoureux, que par ſes frequentes viſites, & par les louanges qu’il donnoit continuellement à Cleonice, quand il le pouvoit faire à propos. Il trouvoit meſme, que cette derniere choſe, n’eſtoit pas abſolument une marque d’amour : & il ne sçavoit comment raiſonner ny que croire. Comme il n’eſtoit pas d’humeur à aimer fortement, il n’eſtoit pas fort inquiet : car pour l’ordinaire, la jalouſie des hommes de cette ſorte, ſe peut pluſtost nommer curioſité que jalouſie. Pour Artelinde, elle triomphoit en ſecret, d’avoir connu qu’elle avoit donné de l’inquietude à Cleonice : cette joye n’eſtoit pourtant pas tout à fait tranquille ; parce qu’elle avoit un ſensible dépit, d’eſtre contrainte de ne douter point qu’il n’y euſt quelque affection ſecrete entre Ligdamis & Cleonice. Car ſi cela n’eſtoit pas, diſoit-elle, jamais elle ne ſe ſeroit adviſée de prendre cette Lettre & de la cacher : & ſi elle ne prenoit pas un intereſt bien particulier en Ligdamis, dont elle a aſſurément reconnu l’eſcriture, elle n’auroit pas fait une viſite ſi courte, & elle auroit eu moins d’impatience. Voila de quelle ſorte raiſonnoit Artelinde : de qui nous avons sçeu tous les ſentimens depuis ce temps là, n’eſtant pas d’humeur à en faire jamais un grand ſecret. Cependant Ligdamis ne pouvant deviner de qui eſtoit cette Lettre, que Cleonice avoit cachée ſi promptement ; ny d’où pouvoit venir l’inquietude qu’il avoit