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aparences, il en entretenoit cette Perſonne. Touteſfois, pourſuivoit-elle, s’il luy avoit dit l’amitié que nous avons contractée enſemble, elle ne m’auroit pas parlé comme elle a fait. Mais comment puis-je raiſonner juſte là deſſus, puis que ceux qui ſont ſinceres, ne devinent pas aiſément ce que penſent ceux qui ne le ſont point ? Ce qu’il y a de conſtant, c’eſt qu’il faut rompre avec Ligdamis ; & ne nous expoſer jamais plus à eſtre trompée. Il faut ne ſe fier à perſonne : il faut n’aimer qui que ce ſoit : & il faut vivre enfin avec autant de precaution parmy ceux qui ſe diſent nos Amis, qu’avec ceux qui ſe declarent eſtre nos ennemis. Elle reſolut pourtant de ne dire pas encore à Ligdamis ce qu’elle croyoit sçavoir de luy : ne sçachant pas meſme encore bien ſi elle luy feroit ſeulement la grace de l’accuſer de ſon crime, & de le luy reprocher.

Comme elle eſtoit donc en cet eſtat, Ligdamis entra dans ſa Chambre, qui venoit de la part de Stenobée la querir pour aller à ſon Apartement. D’abord qu’elle le vit, elle prit en diligence la lettre qui cauſoit ſon inquietude, & la cacha avec beaucoup de precipitation : paroiſſant ſi interdite, que quand Ligdamis euſt eſté ſon Mary, & que cette Lettre euſt eſté d’un Galant, elle ne l’euſt pas paru davantage. Cleonice ne put touteſfois ſerrer cette Lettre ſi promptement, qu’il ne l’euſt entre-veue : & elle ne ſe deguiſa pas ſi bien, qu’il ne connuſt qu’elle avoit quelque choſe de facheux dans l’eſprit, & que ſa preſence l’importunoit. De ſorte que s’arreſtant à deux pas d’elle, Madame, luy dit-il, j’avois pris avecques joye la commiſſion que Stenobée m’a donnée de vous venir querir, parce que j’eſtois perſuadé que je ne vous pouvois jamais contraindre : mais je