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point vous demander quelque aſſurance contre Hermodore, & contre tant d’autres qui vous aiment ? Car Madame, luy dit-il, l’amitié veut encore plus d’eſgalité que l’amour. Pour moy, dis je en l’interrompant, je condamne Cleonice a vous promettre ce que vous luy promettez : je n’en fais point de difficulté, reprit-elle, eſtant ſi aſſurée de n’aimer jamais rien, que je ne m’engage pas à beaucoup de choſe, en vous accordant ce que vous voulez que je vous accorde.

Enfin, Madame, apres beaucoup d’autres ſemblables diſcours, l’amitié de Ligdamis & de Cleonice fut liée : & pour la confirmer abſolument, ils dirent encore chacun cent mille choſes contre l’amour & contre les Amants. Depuis ce jour là, Ligdamis s’eſtima ſi heureux, qu’il diſoit qu’il n’avoit commencé à vivre, que depuis qu’il connoiſſoit Cleonice : & elle eſtoit auſſi tellement ſatisfaite de Ligdamis, qu’elle me remercioit tous les jours, d’avoir contribué quelque choſe à leur amitié. Ils veſcurent donc avec une confiance entiere : Ligdamis ne formoit pas un deſſein, qu’il ne communiquaſt à Cleonice : s’il faiſoit un voyage à la Cour, c’eſtoit par ſes conſeils & par ſes ordres : & elle gouvernoit ſa vie ſi abſolument, qu’elle regla meſme ſes connoiſſances. Elle luy oſta quelques Amis, & luy en donna quelques autres : mais tout cela ſans Empire & ſans tirannie. Ligdamis de ſon coſté, avoit part à ſes plus ſecrettes penſées : elle luy confioit mille petits déplaiſirs domeſtiques, que l’humeur de Stenobée luy cauſoit : elle luy diſoit ſincerement ce qu’elle penſoit de toutes les perſonnes qu’elle voyoit, & de toutes les choſes qui arrivoient : & elle luy monſtroit les ſentimens de ſon ame les plus cachez ſi ouvertement, qu’il ne la connoiſſoit