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pour Amy, qu’un de ces Amants univerſels, qui pour aimer en trop de lieux n’aiment rien : & je ne sçay meſme ſi ces derniers ne ſont pas encore plus divertiſſants que l’autre. En effet, dit Ligdamis, la belle Cleonice a raiſon ; puis que du moins ceux cy n’ayant pas l’eſprit trop engagé, ont touſjours la converſation enjoüée ; ils ne parlent que de muſiques ; de bals ; de promenades ; de Feſtes ; & de plaiſirs, où les autres peuvent prendre part : mais ces Amants effectifs, plus ils ſont amoureux & fidelles, plus ils ſont renfermez en eux meſmes, & plus ils ſont propres à troubler la joye des autres gens. Mais tout à bon Ligdamis, dit Cleonice, ne vous deſguisez vous point, & penſez vous effectivement ce que vous dites ? Mais vous meſme Madame, reprit-il, dites vous la verité ; & ſeroit-il bien poſſible qu’il ſe puſt trouver une Fille admirablement belle, infiniment aimée ; & infiniment aimable ; qui euſt aſſez de Grandeur d’ame, pour ne ſe laiſſer pas toucher à tant de petites choſes, qui font pour l’ordinaire la felicité des belles perſonnes ? Ha Madame, ſi cela eſt, les hommes ne doivent ſans doute pas avoir de l’amour pour vous, mais ils doivent vous adorer ; eſtant certain que je ne penſe pas qu’il y ait rien de plus rare, que de voir une tres belle Perſonne ne ſe foncier pas que ſes yeux embraſent ceux qu’ils eſclairent. Car, Madame, tous les beaux yeux, pour l’ordinaire, ſont des Aſtres mal-faiſants, dont les influences ne font que du mal aux hommes : eſtant tres vray que les Belles, à parler en general, ne ſe contentent pas qu’on leur rende des hommages, & qu’on leur offre de l’Encens ; elles veulent des Sacrifices plus funeſtes : mille cœurs reduits en cendre, ne les appaiſent