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qu’il y ait rien de ſi plaiſant, que de regarder ſans intereſt cette eſpece de galanterie univerſelle, & que d’eſcouter ceux qui la font. Car enfin pour l’ordinaire, toutes leurs actions & toutes leurs paroles ont quelque choſe de ſi oppoſé à la raiſon & à la ſagesse, qu’il y a ſans doute beaucoup de plaiſir à les obſerver. Au commencement Cleonice faiſoit grande difficulté d’avoir aſſez de confiance en Ligdamis, pour railler innocemment devant luy de tout ce que nous voyions : & un jour que nous eſtions ſeules dans ſa Chambre, & que je luy diſois qu’elle avoit tort de vouloir paſſer toute ſa vie ſans avoir jamais aucune ſocieté particuliere avec perſonne : j’avouë Iſmenie, me dit-elle, que je ſuis encore bien plus à pleindre que vous ne penſez : car il eſt certain que de l’humeur dont je ſuis, ſi j’eſtois Maiſtresse de mes actions, je ne ferois conſister la douceur de la vie qu’en l’amitié & en la converſation d’un petit nombre de perſonnes choiſies & raiſonnables, qui connuſſent la veritable gloire & qui l’aimaſſent ; & qui ſans eſtre capables d’illuſions, viſſent les choſes comme il les faut voir, & ne fiſſent pas conſister leur felicité en des badineries ridicules. Mais, Iſmenie, où les prendra t’on, ces perſonnes raiſonnables ? Premierement toutes les Femmes que je connois, excepté vous, ſont de trois ou quatre eſpeces : les unes ſont coquettes ; les autres ſont ſages, mais ſtupides ; quelques-unes ont de la vertu & de l’eſprit, mais un eſprit mal tourné & peu agreable : quelques autres encore ſont artificieuſes & meſchantes : les belles pour l’ordinaire, ſont envieuſes & jalouſes, les ſpirituelles ont bien ſouvent de la ſuffisance & de l’orgueil : les ſottes ſont inſuportables, & les trop galantes me ſont en