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donner de la crainte & de l’eſperance quand il me plaiſt ; avoir cent divertiſſemens à choiſir ; eſtre cauſe que l’on faſſe des Vers à ma loüange ; que l’on ne parle que de mes conqueſtes ; que l’on me ſuive en tous lieux ; que rien n’eſchape de ma puiſſance : & apres tout cela, je veux n’engager jamais davantage mon cœur, que ce qu’il faut qu’il le ſoit pour trouver quelque douceur à entendre ſoûpirer auprés de moy : & pour tout dire enfin, je veux aimer la galanterie, & n’aimer pas un Galant. Cela eſt un peu dangereux, repliqua Cleonice, car le moyen qu’a la fin il ne s’en trouve pas quelqu’un qui malgré vous embarraſſe un peu voſtre eſprit ? Vous autres froides & ſerieuses, reprit Artelinde en riant, eſtes beaucoup plus expoſées à cette fâcheuſe advanture que je ne le ſuis : moy, dis je, qui ſuis ſi accouſtumée aux larmes & aux ſoûpirs, que mon cœur n’en eſt plus eſmeu. Mais pour vous autres ſeveres, quand vous vous eſtes deffenduës tres long-temps ; & que vous avez bien fait les fieres & les cruelles ; s’il ſe trouve quelque Amant hardy, qui s’attache opiniaſtrement à vous ſervir, & qui vous force enfin à l’eſcouter ; deux ou trois larmes amolliſſent voſtre cœur : ou pour mieux dire encore, une eſtincelle l’embraſe : & vous aimez enfin pour le moins autant qu’on vous aime, & meſme un peu plus. voſtre temperament eſt ſi eſloigné de celuy de ces fieres dont vous parlez, reprit Cleonice, qu’il eſt bien mal-aiſé que vous puiſſiez sçavoir ce qu’elles ſont capables de faire. Mais encore une fois, dit Artelinde, dites-moy un peu, Cleonice, ce que vous faites des plus beaux yeux du monde que les Dieux vous ont donnés ? j’en regarde avec eſtonnement (reprit elle, ſi touteſfois j’oſe tomber d’accord