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quoy que je sçache bien que tout cela aboutit à dire trois ou quatre paroles en ſecret, & à faire un grand miſtere de peu de choſe : apres tout, c’eſt une aſſignation ; c’eſt un ſecret ; c’eſt un miſtere ; & par conſequent c’eſt un crime : puis qu’à parler raiſonnablement, on ne ſe cache point pour une choſe innocente. De plus, vous prenez de petits preſents, & vous en faites : vous laiſſez dérober voſtre Portrait, & vous le donnez ; & pour des Rubans, adjouſta-t’elle, il n’y a point de Couleur dont vous n’en ayez donné, depuis le blanc juſques au noir. Vous dites de petits ſecrets à l’un ; vous raillez des autres avec quelqu’un d’eux ; & quoy que vous vous moquiez de tous, je trouve pourtant que vous avez lieu de craindre qu’à la fin tous ces gens là ne ſe moquent auſſi de vous. Car enfin s’il prenoit un jour fantaiſie à tous ces Amans favoriſez, de s’entredire tout ce que vous avez fait pour eux, où en ſeriez vous ? je ne ſerois pas ſi mal que vous penſez, dit-elle ; pais qu’apres tout, il n’y a pas un homme au monde, qui puiſſe ſe vanter que je luy aye jamais accordé la plus legere faveur, de celles que raiſonnablement on peut appeller criminelles. Car pour tout ce que vous venez de dire, je vous aſſure que je ne le nomme pas ainſi : & que je ne voy pas qu’il y ait plus de crime à cela qu’à me parer, & qu’à faire des boucles à mes cheveux : puis que l’on ne ſe pare que pour ſe faire aimer, & que je ne fais auſſi tout ce que vous me reprochez, que pour retenir certains cœurs legers, que la ſeule beauté ne retiendroit pas. Mais qu’en voulez-vous faire ? luy dit Cleonice ; ce que j’en fais, reprit-elle ; je veux troubler toute la galanterie des autres ; faire des Femmes & des Maiſtresses jalouſes ; eſtre aimée de tout ce qui me voit ;