de cent perſonnes que vous n’eſtimez point & que vous n’aimez pas, Car il n’eſt pas croyable que vous puiſſiez aimer en meſme temps, des hommes blonds ; noirs ; grands ; petits ; ſerieux ; enjoüez ; incommodes ; agreables ; ſpirituels ; & ſtupides : n’eſtant pas meſme poſſible que tant de gens puſſent eſtre enſemble dans voſtre cœur. Vous avez raiſon, reprit Artelinde en fiant, auſſi vous puis-je aſſeurer, qu’ils ne ſont pas preſſez en ce lieu là, car je ne les y laiſſe point entrer. Mais pourquoy donc, reprit Cleonice, ſi vous ne les aimez point, agiſſez vous comme vous faites ? pour avoir le plaiſir d’eſtre aimée, repliqua-t’elle, car enfin, Cleonice, adjouſta Artelinde, à quoy ſert la beauté, ſi ce n’eſt à conqueſter des cœurs, & à s’eſtablir un Empire, où ſans Sceptre ; ſans Throſne ; & ſans Couronne ; on a pourtant des Subjets & des Eſclaves ? Mais des Eſclaves, interrompit Cleonice, qui ne ſervent que pour regner : & des Eſclaves encore, dont vous prenez la peine de dorer les fers. Pour moy, dit-elle, ſi je me meſlois d’en donner, mon plaiſir ſeroit de les donner ſi pelants & ſi rudes, que je ne puſſe douter de la fidelité de ceux qui les porteroient. Si je les voulois un jour recompenſer, dit Artelinde, j’en uſerois comme vous dites : mais ne voulant que m’en divertir, il eſt juſte que je ne les accable pas. Cependant Artelinde, reprit Cleonice, vous faites cent choſes fort dangereuſes : & que fais-je de ſi criminel ? repliqua-t’elle ? Vous recevez des Lettres & vous en eſcrivez, reſpondit Cleonice ; vous vous laiſſez tromper de deſſein premedité ; vous voulez qu’on vous regarde, & vous regardez les autres ; vous donnez quelques aſſignations ; où vous ne manquez pas de vous trouver ; &
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