Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/418

Cette page n’a pas encore été corrigée

qui s’obſtina à porter celles de Cleonice. Neantmoins comme elle n’avoit aucune inclination pour luy, & que (comme je vous l’ay dit) l’humeur galante de ſa Mere luy avoit donné de l’averſion pour tout ce qui ſe pouvoit nommer galanterie ; elle ne reſpondit point du tout à cette paſſion : & elle veſcut avec une indifference ſi grande à Epheſe, qu’on ne luy pouvoit rien comparer que celle de Lygdamis, qui la voyoit quelques fois. Cependant comme il eſt bien difficile que l’amitié puiſſe durer long-temps entre deux perſonnes de ſentimens tres contraires, Cleonice voulut comme je l’ay défia dit, taſcher de changer Artelinde, luy faiſant la guerre de ſa façon d’agir : & voulant meſme luy perſuader qu’elle faiſoit tort à ſa beauté, de ſouffrir que tant de gens eſperassent de pouvoir poſſeder ſon cœur. Car enfin (luy diſoit Cleonice, un jour qu’elles eſtoient ſeules) vous ne me ferez point croire que cette multitude d’Amants qui vous ſuivent, & qui vous obſedent eternellement, & aux Temples, & dans les ruës ; & aux promenades ; & aux maiſons où vous allez ; vous ſuivent ſans eſperer : & vous ne me ferez pas croire non plus, qu’ils puſſent tous eſperer, ſi vous n’y contribuyez rien. Car à vous parler ſincerement, je voy des gens ſi mal faits parmy vos adorateurs, que je ne penſe pas qu’ils puſſent jamais ſe flatter aſſez pour pouvoir concevoir de l’eſperance, ſi vous ne les flattiez vous meſme, & ſi vous ne la faiſiez naiſtre dans le fond de leur cœur. J’avoüe franchement, luy dit Artelinde en riant, que je fais tout ce que vous dites : & j’advoüe de plus, qu’un de mes plus grands plaiſirs eſt de tromper l’eſprit de ces gens là par des bagatelles, qui leur donnent lieu de croire qu’on ne les haït