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rien aimé, & meſme ſelon les aparences il ne devoit jamais rien aimer. Ce n’eſt pas qu’il ne fuſt tres honneſte homme : mais il ſembloit eſtre ſi déterminé à s’oppoſer à cette paſſion là, que non ſeulement il diſoit qu’il ne pouvoit rien aimer ; mais il n’aimoit pas ſeulement ceux qui aimoient : & il avoit meſme rompu d’amitié avec un de ſes Amis nommé Phocylide, parce qu’il eſtoit galant de la meſme maniere qu’Artelinde eſtoit galante : eſtant certain qu’il n’avoit pas moins porté de chaines differentes, qu’elle en avoit fait porter.

Voila donc. Madame, quelles eſtoient les quatre perſonnes de qui on parloit le plus à Epheſe : Ligdamis, comme le plus honneſte homme, eſtoit eſtimé de tout le monde, quoy qu’il ne donnaſt ſon amitié à qui que ce fuſt : Phocylide aimoit tout ce qu’il y avoit de beau dans la ville, ou du moins en faiſoit ſemblant : Artelinde eſtoit aimée de pluſieurs, & vouloit l’eſtre de tous : & Cleonice ſans avoir deſſein de faire des conqueſtes, en faiſoit pourtant beaucoup. En effet ſi cette belle Perſonne euſt voulu retenir dans ſes Fers tous ceux qui les prirent, l’Empire d’Artelinde euſt bien-toſt eſté détruit : mais elle agit avec tant d’adreſſe, que ſans eſtre ny rude, ny ſevere, ny ſauvage, elle ſe delivra de l’importunité que donne la multitude des Amants, à celles qui ne font pas de l’humeur d’Artelinde, & elle fit ſi bien connoiſtre que ſon cœur eſtoit une conqueſte tres difficile à faire, qu’il n’y eut preſques plus perſonne qui oſast avoir aſſez bonne opinion de foy pour l’entreprendre. Grand nombre d’Amans ſoûpirerent, mais ils ſoûpirerent en ſecret, il en faut toutefois excepter un qui s’appelloit Hermodore, qui quitta abſolument les chaines d’Artelinde, &