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qu’elle ait, comme vous le sçavez, le plus charmant eſprit du monde, pour ceux à qui elle en veut monſtrer toutes les richeſſes ; elle affectoit pluſtost d’en cacher une partie, que de les faire toutes voir : & je ne connus jamais une perſonne qui ſceust parler ſi agreablement, ny ſe taire avec moins de peine quand elle le veut. Voila donc, Madame, quelle fut Cleonice à ſon arrivée à Epheſe : ſa Mere y chercha tous les plaiſirs, & tous les plaiſirs y chercherent ſon incomparable Fille. Cependant il faut que vous sçachiez, qu’il y avoit alors à Epheſe une Fille nommée Artelinde, de fort bonne condition : & de qui la beauté eſtoit & eſt encore tres grande. Car à dire les choſes comme elles ſont, elle a tant de charmes en toute ſa perſonne, & tant d’agrément en toutes ſes actions, qu’il n’eſt pas aiſé de ſe deffendre de l’aimer dés qu’on la voit : eſtant certain qu’il y a dans ſes yeux je ne sçay quel enjouëment obligeant & paſſionné, qui eſmeut le cœur de tous ceux qui la voyent : & qui le prend devant qu’on ait eu loiſir de ſe reconnoiſtre, & de conſulter ſa raiſon : du moins ce grand nombre d’Amants qu’elle a eus, en ont ils parlé de cette ſorte, quand ils ont voulu juſtifier leur paſſion. Mais Madame, pour achever de vous dépeindre Artelinde, qui a aſſez de part à cette hiſtoire pour m’obliger à vous la bien faire connoiſtre : il faut que vous sçachiez qu’il n’a jamais eſté une Perſonne plus Coquette que celle là. Car non ſeulement elle vouloit gagner des Amants par ſa beauté & par ſon eſprit, mais encore par ſes ſoings, par ſa complaiſance, & par ſa civilité : & quand ſes particuliers Amis luy en faiſoient la guerre, elle s’en moquoit : & leur diſoit en riant, que comme les ambitieux ſoustenoient que l’on ne pouvoit jamais