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n mot de ſa main dans ce Billet : mais apres tout, sçachant à quel point eſtoit ſa retenuë, il s’en pleignit ſans colere : & s’eſtima ſi heureux, d’aprendre ſes ſentimens par Marteſie, que tout autre Amant que luy n’euſt pas eu plus de joye de la poſſession de ſa Maiſtresse, que l’amoureux Cyrus en avoit, de la ſimple aſſurance qu’on luy donnoit, qu’on ne luy feroit point d’injuſtice. Auſſi eſt-ce la marque d’une veritable & grande paſſion, que d’eſtre tres ſensible aux plus petites faveurs : de ſorte que comme celle de Cyrus eſtoit la plus violente & la plus tendre qui ſera jamais ; il ſentoit avec tranſport les graces les moins conſiderables que Mandane luy pouvoit faire : & s’imaginant bien que Marteſie n’avoit pas eſcrit ce Billet, ſans que ſa Princeſſe l’euſt sçeu : il luy eſtoit preſques auſſi cher, que ſi elle l’euſt eſcrit elle meſme.

Cependant pour ne perdre pas le temps en exagerations inutiles, & pour ſonger à la liberté de ſa Princeſſe : il aſſembla le Roy d’Aſſirie ; celuy de Phrigie, & celuy d’Hircanie ; le Prince Artamas, Tigrane, Phraarte ; & quelques autres, afin d’adviſer avec eux, quelle voye il faloit tenir pour cela. Artamas, qui juſques alors avoit conſervé un reſpect extréme pour Creſus, aprenant qu’il ſe preparoit à faire durer la priſon de la Princeſſe Palmis, puis que c’eſtoit dans la Citadelle qu’on la devoit loger, & non pas dans le Palais du Roy ſon Pere : eut un ſi violent deſir d’empeſcher qu’elle n’allaſt habiter la priſon dont il eſtoit ſorty : que prenant d’abord la parole, il dit à Cyrus qu’il luy demandoit pardon, s’il diſoit le premier ſon advis : mais qu’eſtant perſuadé que perſonne ne pouvoit rien propoſer de ſi utile, que ce qu’il avoit à dire : il penſoit eſtre excuſable, de la liberté qu’il prenoit.