nous l’avions delivrée ; car connoiſſant ſa ſcrupuleuse vertu, nous craigniſmes qu’elle ne nous en querellaſt, au lieu de nous en remercier. Cependant Anatiſe qui faiſoit touſjours du poiſon de toutes choſes contre Ameſtris, ſema dans le monde un bruit aſſez faſcheux : car elle fit dire qu’Ameſtris avoit fait mettre ſon Mary priſonnier, qu’Aglatidas eſtoit caché en quelque lieu qu’elle sçavoit bien, d’où il avoit fait agir le Roy ; & pluſieurs autres ſemblables choſes.
Cette impoſture ne tarda pourtant pas long-temps à eſtre deſtruite, quoy qu’Ameſtris ne la sçeuſt pas, car voulant porter la generoſité au de là meſme de ce qu’elle devoit aller, elle nous dit à Menaſte & à moy dés qu’elle nous vit entrer dans ſa Chambre, qu’elle vouloit ſolliciter pour la liberté de ſon Mary. Quand elle nous dit cela, nous fiſmes un grand cry, cauſé par l’excés de noſtre eſtonnement, & nous vouluſmes l’en empeſcher : mais ce fut en vain que nous la conſeillasmes là deſſus : car croyant que cette action ſeroit belle & glorieuſe, rien ne l’en pût deſtourner. Elle aſſembla donc quelques Parents de ſon Mary, qui par intereſt de famille plus que par amitié, ſouhaitoient qu’il ſortist de priſon : & ſe mettant à leur teſte, conduite par le principal d’entr’eux, elle fut ſe jetter aux pieds de Ciaxare, & luy demander grace pour Otane. Cette generoſité parut en effet ſi grande, que le Roy en fut charmé : il luy dit pourtant d’abord, que pour reconnoiſtre ſa vertu, il faloit la refuſer : eſtant certain qu’Otane s’eſtoit rendu indigne d’eſtre ſon Mary, par les mauvais traitemens qu’il luy avoit faits. Elle parla en ſuite avec tant d’eſprit & ſi preſſamment, que Ciaxare luy dit qu’il luy promettoit la vie d’Otane : mais que pour ſa liberté, il ne la luy accorderoit jamais,