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interrompit Aglatidas, avec une douleur extréme) ſoyez-moy toute rigoureuſe ou toute favorable ; contentez-vous de l’innocence de mon cœur, & me laiſſez poſſeder le voſtre : ou montrez-moy tant de marques d’indifference, d’inhumanité, ou de meſpris, que je puiſſe mourir d’affliction à vos pieds. Car, Madame, quel plaiſir prenez-vous à me dire des choſes, qui en prolongeant ma vie augmentent mes ſuplices ? comment voulez-vous que je puiſſe avoir recours à la mort, tant que je croiray eſtre encore aimé de la divine Ameſtris ? & comment penſez-vous que je puiſſe ſouffrir la vie, avec la certitude qu’elle ne ſera jamais à moy ? & ſi j’oſe tout dire, avec la crainte qu’elle ne ſoit un jour à quelque autre. Ne craignez pas ce dernier malheur, interrompit Ameſtris, & croyez au contraire que le cœur que je vous avois donné, & que je retire malgré-moy d’entre vos mains, ne ſera jamais en la puiſſance de qui que ce ſoit. Ce que vous me dites eſt bien obligeant, repliqua Aglatidas, mais Madame, le mal que je ſouffre eſt ſi grand, que je ſens bien imparfaitement la joye que des paroles ſi avantageuſes me devroient donner : Car enfin vous voulez que je n’eſpere jamais rien, ny du temps, ny de voſtre affection, ny de ma fidelité. Qui m’euſt dit, adjouſtoit-il, quand Otane vivoit, que je ſerois un jour encore plus malheureux que je ne l’eſtois alors, je ne l’aurois ſans doute pas creu : cependant il n’y a nulle comparaiſon de ce que je ſouffrois à ce que j’endure ; & Otane dans le Tombeau me perſecute bien plus cruellement qu’il n’a fait durant ſa vie. Ouy, Madame je vous avouë avec ingenuité, que ſans avoir jamais eu la penſée d’avancer ſa mort, depuis que je m’eſloignay de vous : je penſois