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il voulut auparavant que de faire un grand effort ſur luy meſme pour arracher de ſon cœur l’image d’Ameſtris, s’eſclaircir encore un peu plus preciſément de l’eſtat où eſtoit Aglatidas avec cette belle Perſonne. Si bien que comme il eſtoit aſſez mon Amy, et’qu’il sçavoit que j’eſtois fort celuy d’Aglatidas, il me vint trouver le lendemain de cette avanture qui l’inquietoit comme les autres : pour me prier de luy dire ſeulement en general, ſi effectivement le cœur d’Ameſtris eſtoit aſſez engagé, pour oſter toute eſperance à ceux qui avoient de la paſſion pour elle. Je sçay bien, me dit-il, que vous ne me devez pas reveler un ſecret que l’on vous aura confié : mais je sçay bien auſſi qu’eſtant voſtre Amy comme je le ſuis, vous ne devez pas me refuſer de me conſeiller, en une choſe d’ou dépend toute l’infortune, ou tout le repos de ma vie. Je vous declare donc que j’aime Ameſtris, avec beaucoup de paſſion : mais apres tout, ſi j’eſtois aſſeuré que ſon ame fuſt engagée ailleurs, je taſcherois de dégager la mienne : c’eſt pourquoy dites moy de grace ce que je dois faire. Artemon me dit cela avec tant d’ingenuité, que je creus en effet eſtre obligé de le conſeiller ſincerement, & de ſervir trois perſonnes à la fois : Ameſtris en la delivrant de cette importunité, Aglatidas en luy oſtant un Rival, & Artemon en le gueriſſant d’une paſſion qui ne pouvoit jamais eſtre reconnuë. Neantmoins comme il faut touſjours ſe défier de la ſincerité d’un homme amoureux ; je ne luy dis rien de ce que je sçavois d’Aglatidas & d’Ameſtris : mais je luy conſeillay ſi fortement d’eſſayer de ſe guerir du mal qu’il avoit, qu’il comprit ſans doute bien que je sçavois qu’Ameſtris ne l’en voudroit