Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/305

Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais apres que ſa viſite fut achevée, & que nous fuſmes en liberté ; voyant qu’elle demeuroit encore dans les meſmes termes, & qu’il ne trouvoit point ſur ſon viſage je ne sçay quel air ouvert & obligeant, qu’il avoit eſperé d’y rencontrer ; Madame (luy dit-il, lors qu’elle fut revenuë de conduire cette Perſonne qui venoit de ſortir, & qu’il ſe fut aſſis auprés d’elle) eſt-il poſſible que vous ayez eu autrefois la bonté de me faire voir une douleur ſi obligeante dans vos yeux lors que je vous quittay, & que vous me refuſiez preſentement la conſolation de m’y faire voir auſſi quelques ſentimens de joye pour mon retour ? Cette douleur que je vous monſtray malgré moy, reprit Ameſtris en ſous-riant, me parut ſi criminelle, lors que j’y pûs ſonger avec quelque tranquillité, que j’ay voulu reparer cette faute aujourd’huy. Dites pluſtost, Madame, interrompit-il, que vous avez voulu de deſſein premedité, en faire une contre l’amitié que vous me devez : car enfin, puis que vous me fiſtes l’honneur de me commander de n’aimer jamais rien que vous, lors que je m’en ſeparay ; je penſe qu’il m’eſt permis de parler ainſi, puis que je vous ay obeï exactement. Ouy, Madame, je vous ay aimée, & je n’ay aimé que vous : & je vous ay ſi uniquement aimée, que je n’ay pas meſme aimé la gloire, qu’autant qu’il la faloit aimer pour mourir ſans vous faire honte, ſi la fortune l’euſt voulu : Car pour la vie, je vous proteſte qu’elle m’a eſté inſuportable, tant que je n’ay pas eſté auprés de vous. Cependant apres avoir ſouffert des maux infinis ; apres, dis-je, avoir ſenty toutes vos douleurs & toutes les miennes ; apres vous avoir conſervé une amour violente ſans eſpoir, & avoir enduré mille & mille ſuplices, ſeulement