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car en mon particulier, ayant eſcrit à pluſieurs de mes Amis que je l’avois veû mort de mes propres yeux, tout le monde en teſmoigna de la joye pour l’amour d’Ameſtris. Mais ce qu’il y eut d’admirable, fut que la Perſonne de toute la Terre qui devoit eſtre la plus aiſe de la mort d’Otane, fut celle qui l’aprit avec le plus de retenuë car on ne vit jamais ſur le viſage d’Ameſtris un mouvement que l’on puſt croire eſtre une marque d’une grande joye interieure. Comme elle ne pouvoit pas eſtre fort affligée, elle ne le paroiſſoit pas auſſi : mais ſans eſtre ny fort gaye ny fort triſte, elle faiſoit voir par ſa moderation, la ſagesse de ſon eſprit, & la generoſité de ſon ame : & quand Menaſte luy demandoit d’où venoit qu’elle ne ſentoit pas avec plus de plaiſir la liberté dont elle alloit joüir ? elle diſoit que c’eſtoit parce qu’il luy demeuroit quelque ſcrupule en l’eſprit : & qu’elle craignoit que les mauvais traitemens qu’Otane luy avoit faits, ne fuſſent la cauſe pour laquelle les Dieux avoient accourcy ſa vie. A quelques jours de là, les gens d’Otane revinrent, à la reſerve de Dinocrate, qu’ils dirent qui eſtoit demeuré malade en Armenie, & qui confirmerent la nouvelle de ſa perte. Cependant le Capitaine du Chaſteau où eſtoit Ameſtris, au lieu de luy commander comme il faiſoit auparavant, luy obeït dés qu’il sçeut la mort d’Otane : & comme il n’avoit pas uſé envers elle de beaucoup de ſeverité, elle le traita auſſi avec beaucoup de douceur. Peu de jours apres, tous ſes Parens & toutes ſes Amies furent la requerir, & la ramenèrent à Ecbatane : où elle veſcut avec toute la retenuë qu’elle euſt pû avoir, quand Otane n’euſt pas eſté bizarre & extravagant comme il l’avoit eſté.