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comme un homme qui avoit abſolument perdu la raiſon : & s’il euſt eſté permis de voir Ameſtris, tout le monde euſt eſté s’affliger avec elle, ou luy conſeiller d’abandonner Otane. Mais ceux à qui il avoit confié la porte de ſa maiſon, n’y laiſſoient entrer qui que ce fuſt ; non ſeulement parce qu’il le vouloit ainſi, mais encore parce qu’Ameſtris le ſouhaitoit : ſe contentant d’avoir la liberté de voir Artemou & Menaſte, cette derniere entrant par une porte du jardin, ſans qu’on le ſceust. Pour Otane, il eſtoit dans un chagrin inconcevable : car comme il avoit de l’eſprit, il jugeoit bien, malgré toute ſa jalouſie & toute ſa fureur, que ce qu’il faiſoit paroiſtroit fort eſtrange à tout le monde : & qu’il ne pouvoit s’en juſtifier, qu’en diſant des menſonges contre Ameſtris. Il ne pouvoit durer dans la ſolitude où il eſtoit, il ne pouvoit non plus ſe reſoudre à retourner à Ecbatane ; ne sçachant pas trop bien ce qu’il pourroit dire à tous ceux qui s’eſtoient allé réjoüir avecques luy, & dont il avoit receu les complimens. Il eſtoit donc accablé de toutes parts : mais parmy tant de penſées differentes, l’image d’Aglatidas ne l’abandonnoit point : & quand il s’imaginoit qu’Ameſtris luy avoit ſans doute de l’obligation de ce qu’il avoit fait pour luy, il en eſtoit enragé : du moins témoigna t’il avoir tous ces ſentimens, en parlant à Artemon qui le fut voir, pour taſcher de le ramener à la raiſon. Cependant Tharpis qui croyoit effectivement, qu’il y avoit quelque juſtice à tourmenter un homme qui tourmentoit injuſtement une des plus vertueuſes & des plus belles Perſonnes de la Terre : & qui d’ailleurs, comme je l’ay deſja dit, ne haïſſoit pas à ſe divertir aux deſpens d’autruy ; fit ſemblant d’avoit receu une