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pleuroit en ſecret avec ſa chere Menaſte, Otane publioit ſa joye à tout le monde. Cette ſage perſonne avoit meſme la prudence de cacher l’a melancolie à ſon Mary : mais comme elle ne pouvoit pas ſe reſoudre d’eſtre en une perpetuelle contrainte, elle fuyoit les compagnies autant qu’elle pouvoit, & ne ſe contraignoit que pour Otane ſeulement. Elle preferoit donc la ſolitude à la converſation : Ainſi Otane ſe voyoit en aparence bien eſloigné de devoir jamais eſtre jaloux. Mais enfin apres que les premiers tranſports de ſa joye furent paſſez, & que ſon humeur ordinaire luy fut revenuë : venant un jour à penſer dans ſes reſveries melancoliques & ſombres, par quelle raiſon Ameſtris l’avoit ſi long temps & ſi rigoureuſement mal-traitté, pour changer apres tout d’un coup pour luy, & pour le rendre heureux : il prit la reſolution de luy demander la cauſe d’un changement ſi ſubit. Et en effet, il la preſſa fort de luy bien démeſler par quelles raiſons elle l’avoit haï, & par quelles raiſons elle l’avoit aimé : car, luy diſoit-il, je ne ſuis pas changé depuis le temps que vous me connoiſſez, & il faut que ce ſoit voſtre cœur qui le ſoit. Cette queſtion où Ameſtris ne s’attendoit pas, la ſurprit ſi fort qu’elle en rougit, & n’y reſpondit pas trop bien : elle luy dit touteſfois, que tant que ſon Pere avoit veſcu, elle n’avoit pas diſposé d’elle meſme : & que depuis ſa mort, elle avoit voulu eſprouver ſon affection. Mais elle luy dit cela avec tant d’eſmotion ſur le viſage, que celuy d’Otane en changea de couleur a ſon tour : & la laiſſant ſans la preſſer plus long temps, il fut ſe promener ſeul, à ce qu’il a dit depuis à un de mes Amis qui eſtoit