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cela, il faut pourtant concevoir qu’on ne peut gueres avoir plus d’eſprit ny plus de cœur que luy. De ſorte que ſi l’on euſt pû trouver l’art de ſeparer les bonnes & les mauvaiſes qualitez d’Otane, il y auroit eu en ſa perſonne dequoy faire un aſſez honneſte homme, & un Monſtre tout enſemble. Cependant comme ce qu’il avoit d’eſprit eſtoit un eſprit inquiet, il euſt mieux valu & pour luy, & pour Ameſtris, qu’il euſt eſté fort ſtupide, comme vous l’allez sçavoir. Car enfin ſi cela euſt eſté ainſi, il ne ſe ſeroit pas tourmenté comme il a fait, & n’auroit pas tant perſecuté Ameſtris. Vous vous ſouvenez bien, Seigneur, avec quelle précipitation il ſe trouva heureux, par le bizarre deſſein de cette belle Perſonne : ce bon-heur fut pourtant ſi grand pour luy, que ſans ſonger d’abord à autre choſe, ſinon qu’il alloit poſſeder ce qu’il aimoit, il abandonna ſon cœur à la joye : & de telle ſorte, que je penſe qu’il ne remarqua pas la melancolie qu’avoit Ameſtris le jour de ſes nopces, & que ce ne fut que quelque temps apres, qu’il eſſaya de ſe ſouvenir ſi elle avoit eſté gaye on chagrine. En effet, ſon bon-heur paroiſſoit eſtre alors le plus grand du monde : car il épouſoit de ſon conſentement la plus belle & la plus riche perſonne d’Ecbatane : qui toute belle & toute riche qu’elle eſtoit, le choiſissoit preferablement à tout ce qu’il y avoit d’honneſtes gens à la Cour. Outre cela, les deux plus redoutables de ſes Rivaux eſtoient éloignez, c’eſt à dire Aglatidas & Megabiſe : de ſorte qu’à regarder ſa felicité de ce coſté là, on n’en pouvoit pas imaginer une plus grande. Auſſi la ſentit il durant quelques jours avec un tel excès, qu’il ne parloit d’autre choſe : & pendant qu’Ameſtris