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on la fit entrer dans une grande Sale voûtée, où l’on faiſoit les feſtins des Sacrifices extraordinaires : & qui par la beauté de ſa ſtructure, & par la magnificence de ſes meubles, eſtoit bien digne de ſervir à l’entre-veuë de deux perſonnes ſi illuſtres. Le Roy de Pont fut au devant de la Princeſſe ſa Sœur, juſques à un grand & ſuperbe Veſtibule par où les Sacrificateurs qui l’avoient reçeuë la firent paſſer, pour aller à la Sale où ils ſe devoient entretenir. Apres que ce Prince l’eut ſalüée avec beaucoup de témoignages de tendreſſe, & qu’il l’eut fait aſſoir, tout le monde s’eſtant retiré : eſt-il poſſible Seigneur, luy dit-elle, qu’apres tant de diſgraces, la Fortune ait pû conſentir que j’euſſe la conſolation de vous revoir ? L’eſtat où vous me revoyez, luy répondit-il, eſt ſi malheureux, que je doute ſi cette veuë ne vous affligera pas plûtoſt qu’elle ne vous conſolera : & ſi ce que vous prenez pour une indulgence de la Fortune, n’eſt point un artifice dont elle ſe ſert, pour nous rendre encore plus miſerables. En effet, ma chere Sœur, à quoy nous peut ſervir cette entre-veuë, ſinon à faire que vous ſentiez encore plus mes malheurs, quand je vous les auray apris, comme je ſentiray tous les voſtres, quand vous me les aurez contez ? Il vous eſt aiſé de juger par ce que je dis, pourſuivit-il, que je ne ſuis plus ce meſme Prince qui ne pouvoit excuſer en vous cette innocente affection que vous avez euë, & que je croy que vous avez encore pour le Prince Spitridate : ſa vertu & ma propre paſſion, m’ont apris à ne condamner pas l’amour ſi ſeverement. En effet, luy dit-il encore, vous voyez bien que j’avois grand tort de blâmer en autruy, ce qui fait en moy des choſes ſi extraordinaires :