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tant de marques d’admiration dans les yeux, qu’il leur fut aiſé de prevoir qu’ils s’aimeroient un jour avec beaucoup de tendreſſe. Je ſuis bien malheureux (luy dit Cleandre, qui avoit encore le bras en écharpe, de la bleſſure qu’il avoit reçeuë à Epheſe) d’eſtre contraint de paroiſtre devant vous ſans vous avoir rendu le ſervice que j’avois eu deſſein de vous rendre. C’eſt pluſtost à moy à me pleindre, repliqua Cyrus, de voir que peut-eſtre mon malheur a cauſé le voſtre, en devenant contagieux pour vous. J’ay bien plus de ſujet, répondit Cleandre, d’aprehender que ma mauvaiſe fortune ne m’ait ſuivy juſques dans vôtre Armée. Je ne sçay pas, reprit Cyrus, ſi vôtre mauvaiſe fortune vous y aura ſuivy : mais je sçay bien que la Renommée vous y a devancé : & qu’il y a deſja long-temps que le Nom de l’illuſtre Cleandre m’eſt connu, & que ſa gloire m’a donné de l’amour : mais de l’amour toute pure, adjouſta-t’il, c’eſt à dire ſans envie, & ſans jalouſie. Les Amans heureux, répliqua Cleandre en ſous riant, ne ſont jamais gueres jaloux : & ceux qui poſſedent la gloire, & qui meritent de la poſſeder, comme l’illuſtre Cyrus, ſouffrent alternent que les autres en ſoient ſeulement amoureux : Mais Seigneur, adjouſta-t’il, je n’en veux preſentement point d’autre, que celle que je trouveray à vous ſervir. Vous eſtes ſi couvert de gloire, répondit Cyrus, que vous avez raiſon de n’en ſouhaiter pas davantage que vous en avez : mais pour celle que vous ſemblez deſirer, ſouffrez que je m’y oppoſe : & que puis que je vous ſuis deſja aſſez obligé, je taſche du moins de rendre au Prince Artamas, une partie de ce que je dois à l’illuſtre Cleandre. Je merite ſi peu de porter ce