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en cét inſtant ; & de vous exagerer tout ce que cette veuë eut de douloureux & pour l’un & pour l’autre, il ne ſeroit pas aiſé. Cleandre euſt bien voulu pouvoir rompre ſes Grilles ; la Princeſſe euſt du moins ſouhaité pouvoir faire aller ſon Chariot un peu plus lentement : mais enfin marchant touſjours, ils ſe virent aſſez pour redoubler toutes leurs douleurs ; & ils ne ſe virent pas autant qu’il faloit, pour en pouvoir tirer quelque conſolation. La Princeſſe luy fit touteſfois un ſigne de teſte & de main, qui luy fit comprendre qu’elle le pleignoit dans ſes infortunes : & il luy fit connoiſtre auſſi par une action tumultueuſe & violente, quoy que pleine de reſpect, quel eſtoit le trouble de ſon ame. Cependant le Chariot marchant touſjours, ils ne ſe virent bientoſt plus : mais la Princeſſe regarda pourtant encore long temps le lieu de la priſon de Cleandre, à ce que m’a dit un de ceux qui l’accompagnerent.

Depuis cela, Madame, la Cour de Lydie fut auſſi melancolique qu’elle avoit eſté agreable & divertiſſante : le Mariage d’Abradate & de la Princeſſe de Claſomene ne laiſſa pas touteſfois de ſe faire : cependant Arteſilas ne vint pas à bout de tous ſes deſſeins : car il ne pût obliger Creſus à faire mourir Cleandre, ny à rapeller la Princeſſe Palmis. Joint que Creſus, qui sçavoit que le Roy de Phrigie eſtoit entre dans les Eſtats, fut contraint d’aller en perſonne à l’Armée ; & ce fut une des raiſons qui l’obligerent d’envoyer la Princeſſe ſa fille à Epheſe : ne voulant pas qu’elle demeuraſt au meſme lieu où Cleandre eſtoit priſonnier. Les affaires generales changerent pourtant de face ; car, comme vous le sçavez, le Roy d’Affine qui avoit en levé la Princeſſe