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innocent. Pour le Prince Mexaris, quoy qu’il ne le creuſt pas criminel non plus que les autres : l’on a neantmoins penſé qu’il ne fut pas trop marri de ſa diſgrace, par un ſentiment d’ambition : qui luy fit croire que Cleandre n’eſtant plus en credit quand Creſus mourroit (car il y avoit une grande difference d’âge entre ces deux Freres) il pourroit plus aiſément venir à bout d’exclurre le Prince Myrſile du Throſne, & de s’emparer de la Couronne. Il n’y avoit donc preſques que Menecée, qui agiſt ouvertement pour Cleandre & pour nous : la Princeſſe ne l’oſant faire qu’en ſecret, & par des voyes détournées. Il en faut touteſfois excepter Eſope, qui parla touſjours avec une hardieſſe digne de beaucoup de loüange : ainſi voila le malheureux Cleandre criminel en aparence, & en effet le plus innocent, & le plus infortuné d’entre les hommes. Mais quelque douleur qu’il euſt de voir qu’il n’avoit preſques plus d’eſperance de ſe faire reconnoiſtre au Roy ſon Pere ; ny meſme de ſortir de priſon : l’abſence de ſa chere Princeſſe le tourmentoit beaucoup davantage : & quand il ſongeoit qu’il en eſtoit ſi proche, & qu’il y avoit neantmoins tant d’impoſſibilité à la voir, il ne pouvoit ſuporter ſon malheur aveque patience. Cependant Arteſilas qui vouloit que la punition ſuivist la priſon ; & qui eſtoit de l’humeur de ceux qui craignent encore les Lions enchainez ; faiſoit tous les jours impoſture ſur impoſture, pour faire perir Cleandre : & il en couroit de ſi faſcheux bruits dans la Cour, que la Princeſſe en fut eſtrangement allarmée. Elle croyoit bien que ſi elle euſt pû avoir la hardieſſe de dire au Roy qu’elle avoit veû tout ce qui juſtifioit la naiſſance de Cleandre, cela auroit peut-eſtre ſervi de quelque choſe :