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que le Roy de Phrigie eſtoit entré dans ſes Eſtats. Je vous laiſſe à juger, Madame, quel redoublement d’inquietude il en eut : cependant il falut aller trouver ce Prince, & il y fut en effet : Mais il ſe trouva ſi embarraſſé à luy reſpondre, que Creſus s’aperçeut qu’il avoit quelque choſe en l’eſprit, & luy demanda ce que c’eſtoit. Cleandre ne le luy aprit pourtant pas : car comme il n’avoit point veû ſa Princeſſe, il ne sçavoit pas encore ce qu’elle voudroit qu’il fiſt. Il reſpondit donc avec des paroles obſcures : touteſfois comme la guerre de Phrigie occupoit fort l’eſprit de Creſus, il n’y prit pas garde : & il luy dit qu’il faloit qu’il partiſt dans un jour, pour aller achever de ſurmonter cét Ennemy, qui ſembloit avoir deſſein de vaincre ſon vainqueur. Mais Cleandre, luy dit-il, il faut ſe ſouvenir que ce ne font que les dernieres victoires, qui donnent le prix à toutes les autres : & qu’en voſtre particulier, vous avez tant d’honneur & tant de gloire à conſerver, que vous n’eſtes pas moins intereſſé que moy, au bon ou au mauvais ſuccez de cette guerre. En ſuitte apres avoir parlé des moyens donc il eſtoit reſolu de ſe ſervir, pour la ſubsistance de ſes Troupes : il le congedia, & luy dit qu’il allaſt faire ſes adieux.

Cleandre bien aiſe d’eſtre delivré d’une converſation, où il avoit tant de peine à tenir ſa place ; fut au ſortir de là chez la Princeſſe : qui croyant en effet qu’il alloit luy dire adieu, ne le vit pas pluſtost entrer dans ſon Cabinet, où elle eſtoit ſeule avec Cyleniſe, que luy adreſſant la parole ; Quoy que je ne doute pas, luy dit elle, que vous n’alliez vaincre nos Ennemis, puis que vous allez les combatre : comme vous ne le pouvez faire ſans expoſer voſtre vie, & ſans me