de luy donner de veritables marques d’une paſſion vertueuſe. Ce n’eſt pas que l’un & l’autre ne vouluſſent luy perſuader, que celle qu’ils avoient pour elle l’eſtoit : mais c’eſt qu’ils luy diſoient tous deux, qu’ils ne la pouvoient pas épouſer du vivant du Roy leur Pere. Cependant comme elle aimoit mieux le Prince Artamas, que le Prince Tydée, elle fit vœu d’envoyer des Offrandes à Delos, s’il plaiſoit au Dieu qu’on y adore, de luy inſpirer le deſſein de l’épouſer. De ſorte que ſoit par ce vœu qu’elle fit, ou ſoit que le Prince Artamas faſt le plus amoureux, il prit enfin la reſolution de l’épouſer ſecrettement : & je fus témoin de la choſe, avec quatre autres perſonnes de qualité qui vivent encore. Ce Mariage fut meſme fait dans le meſme Temple où l’on garde le Nœud Gordien : ſemblant à cét amoureux Prince, que cette union en ſeroit plus indiſſoluble. La choſe fut pourtant ſi ſecrette, parce que le Sacrificateur eſtoit abſolument gagné, qu’il ne s’en épandit aucun bruit d’abord ; Elſimene continuant de traitter le Prince ſon Mary devant le monde, comme s’il n’euſt encore eſté que ſon Amant. Mais pour ſe delivrer de la perſecution du Prince Tydée, & pour pouvoir joüir avecques plus de liberté de la converſation du Prince Artamas, qui en devint encore plus amoureux apres l’avoir épouſée, qu’il ne l’eſtoit auparavant : elle alla demeurer avec ſa Mere à un Chaſteau ſur le bord de la Mer, où ce Prince alloit tres ſouvent ſans qu’or le sçeuſt ; feignant divers petits voyages, ou diverſes parties de chaſſe, où je l’accompagnois touſjours. Jamais paſſion ne fut ſi violente que la ſienne, ny ſi bien fondée : eſtant certain qu’Elſimene eſtoit un prodige de beauté, d’eſprit, & de vertu.
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, quatrième partie, 1654.djvu/140
Cette page n’a pas encore été corrigée